La question de la formation des ministres des Cultes en débat au Sénat

La question de la formation des ministres des Cultes en débat au Sénat

Je suis intervenue, au nom du groupe RDSE, le 14 juin 2018, dans la discussion générale de cette proposition de loi relative à la formation des ministres des Cultes.

Voici le texte de mon intervention :

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les auteurs de la présente proposition de loi, nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, ont choisi de traduire dans ce texte une partie des recommandations qu’ils avaient formulées en 2016, dans le cadre des travaux de la mission sur la place du financement de l’islam en France et ses lieux de culte.

Si nous pouvons souligner la qualité des travaux de cette mission pour éclairer nos débats, les membres du groupe du RDSE et moi-même n’approuvons pas le texte qui s’en inspire, que ce soit dans sa version initiale ou dans sa rédaction issue de son examen en commission.

En effet, vous le savez, notre groupe est fondamentalement attaché à la loi de 1905 et à ses 44 articles visant à organiser la séparation des églises et de l’État dans notre pays. Les dispositions que vous nous proposez d’adopter aujourd’hui relèvent, pour nous, d’un esprit concordataire que nous ne saurions cautionner.

Toute modification de la loi de 1905 risquerait de nous entraîner vers des évolutions inutiles et non maîtrisées. C’était d’ailleurs le cadrage retenu par la mission d’information : « La loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905. »

Premier écueil, l’exposé des motifs de la proposition de loi initiale vise explicitement l’organisation d’un culte en particulier, à savoir le culte musulman. C’est contraire à l’esprit républicain et à l’esprit de neutralité et de séparation. L’État traite tous les cultes avec la même neutralité et considère tous les citoyens à égalité, qu’ils aient ou non une croyance religieuse, qu’ils la pratiquent ou non.

De surcroît, nous devons faire face à une situation paradoxale. Alors qu’une étude de l’INED, l’Institut national d’études démographiques, réalisée en 2016 démontre le recul de la pratique religieuse en France, une petite minorité s’attache à pratiquer son culte de façon plus dogmatique, voire radicale. Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, des manifestations et processions à genoux, devant le Sénat, au moment où nous votions la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Les questions relatives à l’organisation des cultes relèvent du ministre de l’intérieur. C’est lui qui est compétent pour faire respecter les lois si un quelconque trouble à l’ordre public intervient dans ce cadre.

Ces dernières années, nous avons été amenés à nous interroger sur la bienveillance, à l’égard des associations cultuelles impliquées dans la vie communale, de certains élus qui pratiquent des accommodements déraisonnables pour raisons électorales, tels que les prêts de locaux municipaux et autres financements indirects.

La question centrale à laquelle nous renvoie l’examen de ce texte, c’est d’abord celle de l’application pleine et entière des lois de la République et des moyens que, collectivement, nous y consacrons.

Si nous sommes opposés à l’esprit de ce texte, il n’en reste pas moins que des problèmes bien réels se posent et que notre pays doit y apporter des réponses concrètes, mais ce n’est pas la politique concordataire que vous nous proposez qui les résoudra. Elle n’aboutirait qu’à créer davantage de situations discriminantes, d’incompréhensions et de sources de contentieux.

Juridiquement, nous ne sommes pas désarmés. Les articles du titre V de la loi de 1905 concernant la police des cultes doivent être appliqués fermement. Je pense aux articles 25, 26, 34, 35 et 36.

La loi sanctionne tout citoyen appelant à l’exclusion, au communautarisme, ou encore au meurtre. Plutôt que de choisir l’angle privilégié par les auteurs de la proposition de loi, il aurait été plus acceptable, à mon sens, pour rester conforme à l’esprit républicain, de rappeler la pertinence de ces articles de la loi de 1905, qui contiennent déjà des dispositions d’ordre sécuritaire. Mes chers collègues, je vous donne lecture de deux de ses articles.

L’article 35 dispose que « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile. »

Aux termes de l’article 36, « dans le cas de condamnation par les tribunaux de police ou de police correctionnelle en application des articles 25 et 26, 34 et 35, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise sera civilement responsable. »

Le texte initial de la proposition de loi a été complètement réécrit en commission. Concernant la formation des ministres des cultes, je vous rappelle que celle-ci existe déjà sous forme de diplômes universitaires, dont le contenu des enseignements dispensés n’est, hélas, ni homogène sur l’ensemble du territoire ni certifié d’un point de vue républicain.

Ces formations donnent une caution aux ministres des cultes sans pour autant garantir une réelle appropriation des lois de la République. Dans la pratique, je me demande comment les dispositions de votre texte pourraient s’appliquer aux ministres des cultes autoproclamés, comme il peut en exister, par exemple, dans l’église évangélique.

Pour conclure, je voudrais revenir sur la création par l’article 3 d’un conseil consultatif des cultes, placé auprès du ministre en charge des relations avec les représentants des cultes. Une fois de plus, dans la logique de la séparation, les membres du groupe du RDSE estiment qu’il n’appartient pas à l’État de favoriser un tel dialogue : l’œcuménisme revient au religieux.

Quant aux structures existantes, telles que l’Observatoire de la laïcité, il pourrait être utile de les renforcer dans leur compétence de lanceurs d’alerte, qu’elles n’assument pas suffisamment, éludant une partie de la réalité, la plus conflictuelle, et se gardant bien de donner des recommandations audacieuses. Elles pourraient réaliser un relevé exhaustif des situations contrevenant à la loi de 1905, en ce qui concerne l’exercice des cultes, le statut des ministres des cultes ou encore dans le domaine des relations avec les collectivités territoriales.

Compte tenu de ces éléments, notre groupe votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – MM. Éric Jeansannetas et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

 

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Mes interventions en séance au cours de l'examen du texte pour défendre mes amendements

 

 

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